Usbek & Rica – La technologie nous permettra-t-elle un jour de parler avec nos morts ?

Passé l’effet de sidération procuré par ce projet, je n’ai pu m’empêcher – réflexe ô combien humain – de songer à la personne aujourd’hui disparue avec laquelle j’aurais rêvé pouvoir échanger grâce à Somnium Space. Et puis, j’ai songé à cet épisode terrible de L’Odyssée d’Homère où, Ulysse, parvenu au Royaume d’Hadès – loin par-delà l’Océan – retrouve sa mère adorée et tente de la serrer dans ses bras. Par trois fois, Ulysse essaye d’embrasser sa chère mère, Anticlée, et, par trois fois, nous dit Homère, elle lui échappe, « telle une ombre ou un songe envolé ». Car, si son apparence et sa voix demeurent intactes, Anticlée n’existe déjà plus qu’à l’état de silhouette désincarnée, de mirage toujours sur le point de s’évaporer. 

Que nous raconte la rencontre d’Ulysse et d’Anticlée ? Que même l’avatar le plus sidérant de réalité ne peut compenser la perte d’un être que l’on a profondément aimé. Même la VR la plus sophistiquée, l’IA la élaborée ne nous fera embrasser que des ombres. Je saute quelques siècles après l’Odyssée pour basculer dans l’univers le plus proche du métavers jamais bâti dans la littérature : celui de la Divine Comédie, imaginé par le poète toscan Dante Alighieri.

 « Au milieu du chemin de sa vie », Dante, en exil, dévoré par la douleur suite à la perte de son grand amour, Béatrice, est perdu. Littéralement et métaphoriquement perdu. Il la pensait toute tracée, mais la ligne de sa vie a dévié. Comme Ulysse avant lui, on lui offre l’opportunité de basculer dans le Royaume des morts. À ce stade de son voyage, comme le héros de L’Odyssée, il peut encore rectifier le tir et choisir de vivre. Il peut aussi décider de se perdre pour l’éternité dans le grandiose métavers imaginé par le poète. Lui, ce « corps vivant qui se déplace parmi les corps morts », comme le note Jacqueline Risset dans sa préface à La Divine Comédie (GC Flammarion), pourrait, une fois franchis tous les obstacles du Purgatoire et de l’Enfer, contempler pour l’éternité son aimée, Béatrice, qui siège aux côtés des âmes nobles, au Paradis.