23 mai 2023 à 9h58
Le protagoniste du nouveau roman de JM Coetzee est septuagénaire, ressemble à l’acteur suédois Max von Sydow et interprète Chopin de manière très controversée. À savoir froid et ascétique au lieu de romantique et opulent.
Le pianiste polonais, qui après son concert à Barcelone ne se présente que par son prénom Witold car son nom de famille est difficile à prononcer pour ses hôtes espagnols, est par ailleurs un décharné au tempérament maigre. Néanmoins, une relation inhabituelle se noue entre lui et Beatriz, qui est de plus de vingt ans sa cadette. Étonnamment, Coetzee publie son nouveau roman “Le Pôle” d’abord en espagnol et chez un petit éditeur argentin, pour lui “un acte de résistance contre l’hégémonie culturelle du Nord”.
plaisir dans l’irritation
La relation inégale entre la pianiste polonaise de plus de 70 ans et la catalane de presque 50 ans, épouse et mère de deux enfants adultes, laisse le lecteur perplexe. Ce n’est pas le cas pour Witold, car sa fascination pour le jeune homme est évidente et sans compromis. Son intérêt pour lui reste cependant insondable, d’autant plus qu’elle cède à ses sollicitations d’une manière troublante et sans émotion.
« Ces figures énigmatiques sont un motif récurrent dans l’œuvre de Coetzee. Il aime évidemment irriter ses lecteurs », explique Reinhild Böhnke, qui traduit les livres de Coetzee en allemand depuis 25 ans.
Proximité de Musil
La particularité de la nouvelle en dehors de l’agaçante Beatriz : Coetzee observe ses personnages avec curiosité comme un scientifique observe un montage expérimental. “Il a dit un jour,” dit Reinhild Böhnke, “que les romans qui n’essayent rien de nouveau l’ennuient.”
Il a quelque chose en commun avec l’un des écrivains autrichiens les plus importants, avec qui Coetzee se sent d’ailleurs très proche : « Robert Musil a le même bagage intellectuel que moi. Il a étudié le génie mécanique, moi les mathématiques. Ses études l’ont fait réfléchir sur les fondements de nos connaissances, et il a essayé d’exprimer ces pensées dans ses romans et ses nouvelles.
Aux yeux des autres
Comme dans son Journal d’une mauvaise année, il y a des essais dans The Pole dans lesquels Coetzee réfléchit sur Chopin, qu’il considère comme le plus grand compositeur de la génération après Beethoven, et sur la poésie polonaise. Le dernier tiers de la nouvelle doit se passer de Witold, car il meurt à Varsovie et laisse à Béatrice 84 poèmes dans lesquels elle joue un rôle central.
Qu’advient-il de notre image de soi lorsque nous nous voyons à travers les yeux des autres, grandissons-nous ou rétrécissons-nous, devenons-nous étrangers ou nouveaux à nous-mêmes ? De lourdes questions que JM Coetzee pose à la légère dans cette mince nouvelle – qui est encore une fois suffisamment irritante pour que Coetzee puisse en profiter.
service
JM Coetzee, “Der Pole”, roman, traduit de l’anglais par Reinhild Böhnke, S. Fischer Verlag