Hommage : Jean-Paul Pichon, une vie dédiée à un nom

« Quand on est d’ici, on connaît la maison Pichon », sourit Von Pichon. Figure locale, son mari, Jean-Paul Pichon, est décédé au premier jour de la nouvelle année, après avoir dédié sa vie à l’un des emblèmes de la cité ducale.

« C’était quelqu’un qui adorait ses aïeux et le travail qu’ils avaient fait avant lui », se souvient Von Pichon.

Représentant de la septième génération, Jean-Paul Pichon avait conscience de l’importance de cette production locale pour les Uzétiens. « C’était quelqu’un qui adorait ses aïeux et le travail qu’ils avaient fait avant lui. Il était très admiratif et savait qu’il ne ferait jamais mieux qu’eux. Il se sentait comme investi d’une mission », se souvient son épouse. « Papa, je le percevais comme quelqu’un qui aimait transmettre son savoir. Il était très admiratif et reconnaissant du travail accompli par ses ancêtres. Comme tous les Pichon, il restait très modeste sans pour autant se sous-estimer. C’est un trait qui caractérise notre lignée », ajoute Christophe Pichon.

Destin tracé

Jean-Paul Pichon est né dans la maison familiale, avenue Jean-Jaurès, à quelques pas des fours où cuisaient les céramiques éponymes. C’est dans cette même demeure qu’il a fait sa vie, avec Von, qui y réside toujours. « Quand il était jeune, Jean-Paul voyait le personnel qui passait des jours et des nuits à alimenter le four avec des fagots. Je l’ai tellement entendu parler de ça. Il disait qu’on avait ouvert les portes de l’enfer. Ça c’était de la vraie poterie. Aujourd’hui, ce n’est plus la même chose », poursuit avec nostalgie Von Pichon. Mais le coup de maître de son mari fut de faire entrer la maison uzétienne dans la cour des grands. « Chacun a mis sa patte et mon père a amené Pichon au-delà des frontières françaises. Il était très proche de Jean-Pierre Deméry et avait fait un partenariat avec sa société Souleiado qui a permis aux créations Pichon d’être vendues dans des boutiques du monde entier. Telle a été sa grande œuvre », sourit son fils unique. Lors d’un salon, son père aurait même rencontré Catherine Deneuve qui lui aurait confié manger tous les jours dans des assiettes estampillées Pichon.

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Côté style, Jean-Paul Pichon créé des céramiques plus contemporaines, avec des couleurs, sans pour autant renier les créations de ses ancêtres en poursuivant la tradition des marbrés. « On a fait beaucoup de couleurs. Des choses très lisses, très simples, comme le service Uzès, poursuit celle qui a partagé sa vie. Il fallait avoir un peu d’imagination pour voir comment on pouvait transformer les pièces, interchanger les moules. Jean-Paul était un manuel, il aimait travailler la terre, fabriquer et créer ».

Gravé dans les mémoires

De plus, Jean-Paul Pichon a souhaité faire perdurer l’aura de la manufacture familiale dans la mémoire des habitants de l’Uzège. C’est notamment grâce à lui que l’on trouve aujourd’hui une salle Pichon au musée Georges-Borias d’Uzès. « En 2008, il a mis en dépôt une partie de la collection de céramiques Pichon. Il venait régulièrement, pour expliquer les pièces aux visiteurs, faire des visites guidées, notamment durant les Journées du patrimoine. Il racontait des anecdotes toujours très drôles avec son accent uzétien pur beurre, se remémore avec émotion Brigitte Chimier, conservatrice du musée d’Uzès. Il avait beaucoup d’humour et un côté très attachant, même quand il n’était pas content. Il me manquera et manquera à Uzès car il portait toute la mémoire de la tradition familiale de la poterie. Cette mémoire ne pourra jamais être remplacée ».

En outre, depuis de nombreuses années, certaines pièces estampillées Pichon sont présentes dans un autre lieu emblématique d’Uzès : le Duché. « Pour les mettre sur ses tables de présentation, le duc a fait faire de grandes assiettes marbrées. Et à l’atelier, il y a une petite pièce à l’entrée de la cour où la marquise de Crussol allait pour travailler ses poteries. Les Pichon ont toujours été très proches du Duché », indique Von Pichon.

Sportif à ses heures perdues

Passionné de sport, Jean-Paul Pichon s’est investi en fondant des clubs de football dans les villages, et notamment à Vers-Pont-du-Gard. « Il adorait les enfants. Il a créé des clubs de football et mettait des céramiques Pichon à loter pour acheter des ballons aux petits car il voulait que les enfants puissent jouer avec de bons ballons. C’était un garçon très sportif », évoque Von Pichon.
Son fils se souvient lui des entraînements de football passés aux côtés de son père. « Mon père a été entraîneur de foot dans ma jeunesse. Il a aussi été entraîneur de tennis pour les jeunes et les moins jeunes. Il m’a donné le goût de toucher à beaucoup de sports, ainsi qu’à Numa et Naïs, mes enfants, poursuit Christophe Pichon. Il avait mes enfants à chaque vacances et ils partaient dans leur maison en Ardèche pour visiter la région. C’est avec lui qu’ils ont appris à skier et à nager. C’était un grand-père exceptionnel prêt à tous pour nous ». Comme en témoigne le mât qui gît dans les jardins de l’ancienne manufacture au centre-ville d’Uzès, Jean-Paul aimait aussi la planche à voile, un passe-temps qu’il partageait avec Christophe.

Le 1er janvier, c’est un homme admiré par de nombreux Uzétiens qui s’est éteint.
Le Républicain d’Uzès adresse ses condoléances à la famille et aux proches de Jean-Paul Pichon.

Tradition et savoir-faire

Les céramiques Pichon sont avant tout une affaire de famille. Depuis 1802, huit générations se sont succédé, ne cessant d’innover dans l’art de la céramique. Chaque descendant de Toussaint Pichon a mis son grain de sable. À l’aube du XIXe siècle, ce dernier se rend compte des caractéristiques exceptionnelles de la terre argileuse d’Uzès. Une terre qu’il va sublimer. Quelques temps plus tard, François et Nicolas Pichon ouvrent la première boutique, route d’Alais. Ils réalisent les premières corbeilles tressées et inventent la technique du marbré. De père en fils, les techniques d’excellence se transmettent et les céramiques Pichon sont reconnues et renommées dans le monde entier. Une fontaine marbrée rentre même au Vatican. Les premiers services de table et les premiers émaux sont créés par Paul Pichon. Peu avant la Première Guerre mondiale, son fils Henry, proche de la duchesse d’Uzès, va resserrer les liens entre la manufacture et le Duché. Les décennies passent et Jean-Paul Pichon prend les rênes de la maison et la fait entrer dans les salons. C’est à ce moment que la notoriété de la manufacture dépasse les frontières et les océans. Depuis 1995, c’est à son fils unique Christophe que revient l’incroyable mission de faire perdurer cette maison familiale vieille de plus de deux siècles.